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Stéphane Rouzé : TrTz

4 mai 2006

Connaissez vous Ribemont Dessaignes?

Georges RIBEMONT-DESSAIGNES était Dadaïste... voici quelques extraits d'écrits.

NON - SEUL PLAISIR

Lorsque par un malheureux hasard on pénètre dans le domaine de ceux qui font commerce d'esprit, on voit que la première marchandise qui leur manque le plus, et qu'ils prétendent leur être spéciale, est justement l'esprit. ils ont comme cervelle une marmelade rance dont l'odeur leur sort par les narines. On s'écoeure et on se révolte. La dysenterie ne les videra donc pas jusqu'à la nuque? ils ne vont donc pas mourir tous? hélas, nous mourrons avant eux.
Puis, lorsqu'on a souhaité voir des yeux des peintres devenir, devant leur crâne vide, semblables à des grains de raisin sur lesquels on a posé le pied, ou dans les oreilles des musiciens pousser des orties pleines de chenilles, il faut bien avouer que la séance continue et que le sang circule aussi poisseux à travers une chair aigrie.
Figurez vous que ces gens grotesques qui font de l'Art comme on va à son bureau, et remplissent une fonction soit mercenaire, soit sacerdotale, enfin que ces catalogués artistes, de rang social, sont encore ce qu'il y a de mieux dans la vase ambiante.
Fermez les yeux, et dans l'ombre de vous-même, ces larves levées, aux prétentions divines, coiffées d'un bonnet d'archevêque ou de maître-queu, et qui portent sur le ventre, inscrite au fer rouge la double honte d'être des parasites pour l'Etat bourgeois, et de la vermine, pour ceux qui se foutent de l'Etat, ces gaz de cadavres agités sans mouvement, c'est la fourrure et le collier de perle du moment, le sourire de la belle France.
Soufflez sur ces apparences et considérez le reste, tout ce qu'avec orgueil la dite France envoie au monde, par radio, comme expression de sa vertu, de sa morale, de son courage, de sa grandeur et de sa force. Un maréchal et quelques autres brutes, un vieux signe qui prend ses grimaces bilieuses comme procédé de gouvernement et une bande d'escrocs et de voleurs à la tire, tout le reste est mort.
l'heure est aux héros. Et quel héros! Tous ceux qui avaient du courage sont morts, et quelques autres qui n'en avaient pas, et entre la révolte et la mort ont choisi le hasard de celle-ci, comme la plus facile. Le proportion d'intellectuels tués est plus forte que celle d'intellectuels revenus, le corps étant chez eux plus passif. De sorte que parmi les saints et les saufs, il y a une majorité d'imbéciles.
D'ailleurs, après expérience historique, la qualité de héros s'accroît avec l'inutilité des gestes héroïques. L'héroïsme de la dernière guerre, éminemment utilitaire, est de qualité basse et policière. Les agents de police de l'est se sont jetés sur les agents de police de l'ouest. Ils se sont massacrés, ceux-ci étant pour ceux-là, et réciproquement, des apaches.
Il n'y a aucune différence spécifique entre un policier et un voleur. Toutefois, il faut reconnaître que le bandit atteint beaucoup plus naturellement à l'héroïsme pur.
On peut avoir l'Illiade et l'Odyssée imprimées en galons d'or sur la manche, et une palmeraie sud-oranaise plantée sur la poitrine, et pourtant violer des petites filles, coucher avec des femmes pour de l'argent, dérober l'or du prochain ou se présenter à la députation. C'est seulement l'indice d'un beau tempérament.
Mais la plupart préfèrent agir dans l'ombre, comme les punaises et les ascarides dans l'intestin des chiens. Et la masse qui compense cette lâcheté avec les points d'appui abstraction, s'étonne tout à coup qu'un de ses nouveaux élus parlementaires puisse être à la fois capitaine et voleur.
Alors on tourne son espoir vers le peuple. Ce que l'on pourrait appeler tragique dans l'aventure, c'est que les révolutionnaires, d'ordre social, sont rétrogrades d'ordre intellectuel. Animés d'intentions de consciences de bonnes intentions, ils prétendent tirer le peuple de son sommeil spirituel, et le hausser jusqu'à l'Art.
Et par Art, ils entendent l'Art vrai, l'Art sérieux, le grand Art, c'est à dire l'ensemble des rites esthétiques, le grand chiqué des hommes autosuggestionnés, qui tirent des lois d'harmonie et d'équilibre du bruissement du vent automnal dans leur cheveux, ou de leur sexe dans la glace. On mène le peuple à l'abstraction. C'est autre chose que l'abattoir. mais c'est aussi pour des abstractions qu'on avait mis à neuf celui-ci. L'abstraction beauté qui se trouve nulle part sur l'échelle verticale s'agite comme un drapeau. ça sent la mort. aller ou retour? Terrains vierges! chantent les fidéistes touchants comme des diacres. Renaissance! Hélas, quand les hommes, et les plus sages, se mettent à parler de la beauté, c'est de momie qu'il s'agit. Le plaisir propre au surplus de la vie: calembours, fox-trott, ou poème à forme inconstituée et inavouée, n'est que tenu pour idiotie ou folie suivant le degré de développement.
Voici donc que pour initier, par volonté d'initier, parce que la civilisation comporte l'Art, on opère comme pour le déflorement de la mariée : Tiens, voici l'amour. Mais en la circonstance l'époux est un vieillard contaminé. Il donne à la rougissante sa maladie sans aller plus avant.
Il n'y a pas de remède. Le remède serait une nappe de pétrole enflammée. Civilisés et prétendants à la civilisation, sous la pure consomption. Les vents alizés par la suite auraient beau jeu avec la poussière. C'est une utopie.
Il y a moyen de remédier à l'absence de remède. C'est de pousser la masse au fanatisme destructif, à la sauvagerie, à l'incompréhension de tout ce qui est "élevé". Lorsque l'artiste ne pourra plus sortir sans avoir la joue couverte de crachats et l'oeil crevé, ce sera le commencement d'un ère fraîche et heureuse. Car jamais les hommes n'auront eu de plaisirs plus purs et plus énormes. Et jamais notre "art" n'aura été plus vivant ni plus dur.

Gilbert RIBEMONT-DESSAIGNES.
Extraits de la revue Dadaïste 391 N°II. paru en Février 1920.


CIVILISATION

Il est avéré désormais que le plus pur moyen de témoigner de l'amour à son prochain est bien de le manger. C'est nullement plus répugnant que de se nourrir de secrétions malsaines et puantes et de suintements équivoques ainsi que le font les hommes des époques qualifiées hautes. Voyez le petit vieux à barbe grasse: oh Verlaine! et le gros blond au pantalon entrouvert. Oh César Franck! il est vrai que les alcooliques ne reculent point devant l'absorption du liquide conservateur de précieuses pièces anatomiques, sans souci du dommage causé à la Science.
posséder par le coeur, ou posséder par l'estomac? celui-ci est plus certain. Et puis en cas de contre-ordre, il y a toujours la nausée.
Nul égoïsme. le plus fort mange le plus faible. Tu es admis à ma table, o mon agneau! t'amo, t'amo!
Analogie avec l'amour des amants. La femelle (qui est parfois un homme) connaît par l'intérieur la pensée du mâle (qui est parfois une femme).
Ainsi le mangé connaît par l'intérieur - Ce n'est pas ici le tube digestif- la substance du mangeur. Qui est donc vainqueur du jeu?
Et sans doute il n'est pas d'émotion artistique semblable à celle qui étreint l'homme plat du jour, dès le commencement de la mastication.
Les hideux amateurs de la sueur nocturne des poètes sont aussi des anthropophages ; on pourrait leur être reconnaissant de débarrasser l'air d'une telle fétidité, si leur haleine ne s'en ressentait. Vraiment il ne faut manger ni du poète, ni du musicien, ni du peintre, ni d'aucun artiste, avant de l'avoir mis à dégorger. Encore leur viande doit-elle être molle et fade.
bonbons à l'essence de bananes et pippermint, donnent à la fin mauvais estomac. Que dire d'un violoniste? -Es schmeckt, es schmeckt!- Gare le gros ventre! donner cela aux chacals.
Au moins quand le sain mange son vieux père mort, ou un missionnaire anglican, c'est parce que la chair parle, et que la narine se dilate voluptueusement, comme à l'odeur de l'oignon qui rougit.
I

Fatale soumission aux lois de la pesanteur. Surnagement de la tête dans les airs. Voilà l'entrepôt constitué. Haut, bas. Et lui, monte sur les marchandises, et toujours sa tête est plus haute.
De la main gauche de la main droite, il ne peut s'empêcher de peser le chant même des petits oiseaux.
Pourtant ses cheveux que le vent emporte, finissent par reposer sur le Sol. Terre! Terre!
A une telle altitude, il importe peu qu'il rêve de cervelles désaffectées, d'intestins déroulés au mètre, de muscles et de graisse pulvérisées en rosée sur les gazons rouges.
Ainsi en son sommeil, certes, joua-t'-il au billard avec des yeux vitreux et équilibra t'-il un oeuf blanc sur le jet de sang jailli du cou qu'un obus priva de chef.
Il ne peut encore comprendre pourquoi la tête si légère lorqu'elle remorque le corps vers le ciel; est si lourde si le câble se rompt.



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4 mai 2006

Trtz est mort, vive Trtz

Si vous souhaitez découvrir plus en détail mon travail d'écriture, mes passions, mes lectures venez visitez le blog de LELEM à l'adresse http://www.20six.fr/lelem
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Stéphane Rouzé : TrTz
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